Depuis décembre 2005, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) du Rhône s’est donné une présidente. Pour cette association, née avec l’Affaire Dreyfus, l’arrivée d’une femme est l’occasion de renouveler la symbolique comme les pratiques. Odile Belinga est une avocate lyonnaise, membre de « avocats sans frontière », ce qui l’a amenée à plaider au Rwanda notamment. Elle nous raconte les luttes des « ligueurs ».
Vous incarnez un certain renouvellement à la LDH, vous êtes femme et appartenez à une « minorité visible » suivant l’expression utilisée au PS…
Je ne suis pas la « black-alibi » de la Ligue des Droits de l’Homme. On va dire que mes origines – sans mauvais jeu de mot – colorent ma présidence, obligatoirement, mais je suis un pur produit de la bonne éducation lyonnaise, je n’ai jamais vécu la moindre discrimination. Tout ce qui a pu poser problème dans mes origines familiales a été vécu par mes parents, pas par moi.
Quels sont les rapport entre le PS et la LDH ? Y a-t-il des passerelles ou la LDH préserve-t-elle son indépendance ?
La seule obligation me concernant statutairement (en tant que présidente ndlr) : ne pas être élue. Je n’ai jamais eu ma carte mais chaque fois que j’ai été sollicitée, j’ai toujours accepté et avec plaisir de figurer sur les comités de soutien au PS. A la LDH, on trouve de l’extrême gauche et jusqu’à des gens bien plus conservateurs. Avec le PS, il y a des passerelles naturelles.
En ce moment, quel est le quotidien de la LDH ?
Le plus gros dossier cette année, c’est bien sûr la question des étrangers. Il y a eu toute une législation assez folle entre 2003 et 2006 et puis bien sûr la fameuse réforme de la loi « Ceseda » qui nous a énormément mobilisée. La LDH est bien sûr dans tous les collectifs « unis contre l’immigration jetable », et soutient le réseau éducation sans frontières (RESF).
Ça a été notre gros dossier avec deux volets : un volet éthique, philosophique et sociologique, qui consiste à réfléchir au sens de cette législation anti-étrangers et puis il y a le volet terrain, avec les permanences ou en tant qu’observateurs judiciaires.
Qui sont les « ligueurs » ? Sont-ils en phase avec notre société et quelle place font-ils aux jeunes ?
J’ai été très intéressée par ce qui s’est passé lors du mouvement du CPE. Les jeunes ont trouvé dans le simple fait de participer à une manifestation politique, un début de formation militante. Les anciens partaient de la doctrine et essayaient de voir dans la rue comment appliquer la doctrine, pour les plus jeunes, un événement frappe à leur porte, ils vont dans la rue et ensuite ils retournent vers la doctrine : je trouve ça bien.
Ça nous contraint à changer nos réactions, nos façons de penser à nous adapter et c’est très intéressant. Et dernièrement, après le CPE, il y a des jeunes qui se sont inscrits à la Ligue. C’est un grand espoir, car ça veut dire que ce n’est pas que du pulsionnel et du réactionnel.
Avec RESF, a-t-on aussi assisté à une prise de conscience ?
Pour RESF, la mobilisation a touché des parents lambda. Un jour ils se trouvent confrontés à leur enfant qui leur dit, ma petite copine ne peut plus aller à l’école. L’école propose aux parents de se réunir et d’en discuter. Les parents s’interrogent « un centre de rétention administrative ? Qu’est-ce que c’est ? Et on ne peut pas aller les voir ? Et les enfants sont déscolarisés ? Pourquoi la police est-elle venue les chercher à l’école ? »…
C’est comme ça que ça fonctionne, toutes tendances politiques confondues. C’est vraiment un mouvement citoyen.
Quelle est l’évolution actuelle des libertés fondamentales ?
C’est un retour en arrière considérable. Quand le Ministre de l’Intérieur dit que le mineur de 1945 n’a rien à voir avec le mineur de 2006, c’est effrayant. La philosophie qui sous-tend les lois de 1945 sur les mineurs privilégie l’éducation sur la sanction. C’est quelque chose qu’il veut mettre à-bas.
Les domaines ne sont pas clivés et lorsqu’on se bat pour des étrangers, très vite on est confrontés à des problèmes concernant le droit des mineurs, puis la condition carcérale, le droit social et finalement c’est toute une société qui est en train de déplacer ses lignes dans un sens extrêmement inquiétant.
Propos recueillis par Laurent Jauffret